Le grand comeback de la gelée

Détestée ou fantasmée, la gelée continue de traverser les époques pour nous proposer des aliments tape-à-l’œil, transgressant les codes alimentaires. Pourquoi une telle passion pour ce produit tout mou ?


It’s time for Jello

Obtenue par ébullition prolongée d’os et de tissus conjonctifs, la gélatine était d’abord une façon de valoriser toutes les parties animales. Pendant la Seconde Guerre mondiale et dans les années qui ont suivi, la gélatine a été un substitut astucieux à la viande pour créer des pièces spectaculaires avec peu de moyens et apporter un peu de joie dans les assiettes.

Lorsque les rationnements ont cessé, la gelée s’est plutôt destinée aux personnes qui ne pouvaient pas mâcher, laissant un souvenir horrifique pour certains. Pour les plus passionnés, cet article retrace bien les usages de la gelée à travers le temps.

Dans le film Flubber sorti en France en 1998, le professeur de physique Brainard met au point au cours d’une expérience hasardeuse une créature gigotante et malicieuse. La gelée incarne alors les années de l’alimentaire de synthèse, des couleurs artificielles et des créations en laboratoire.

Mais depuis 2007, on assiste à un retour en force des ces textures, avec entre autres, les britanniques Bompas & Parr qui recréent un imaginaire de la jelly en jouant sur les formes et les couleurs. Tantôt reproduisant des bâtiments architecturaux emblématiques, tantôt en proposant des expériences sensorielles inédites et drôles avec des gelées fluorescentes, le duo s’est positionné comme un expert créatif de la gélatine haut de gamme. Peu à peu, la gelée devient indissociable du food design et elle se crée une place sur les tables d’événements culinaires. Mais la gelée sort également de nos assiettes et inspire les créateurs jusqu’en dehors de l’alimentation.

La marque de lunettes coréenne Gentle Monster a sorti en 2024 toute une collection Jelly. Formes enveloppantes inspirées des lunettes de vitesse des années 2000, montures épaisses et translucides, couleurs légèrement désaturées et textures évoquant des bonbons : le lunetier reprend les codes de la gelée.

La mode, le design et l’art s’emparent de la gelée pour nourrir des univers créatifs. On s’écarte d’une définition nutritionnelle ou alimentaire de la gelée : elle ne fait plus peur, elle fascine. Quel changement s’est opéré ? Qu’est-ce que la gelée évoque pour ces créateurs ?

À la recherche d’expériences nouvelles

La gelée, c’est aussi et surtout une expérience en bouche. Certains pays d’Asie entretiennent une longue tradition de cuisine d’éléments aux textures bondissantes et gélifiées, particulièrement populaires chez les plus jeunes, comme les mochis ou les bubble teas. Le Guide Michelin lui-même écrit sur ces textures “QQ”, moins familières aux palets européens. Notre tradition culinaire aurait moins été sensible à la texture, il y a donc aujourd’hui tout un palais à éduquer et une palette de textures à faire découvrir.

Au-delà de la texture en bouche, c’est aussi une texture qui donne envie d’être touchée, triturée avec les mains. C’est d’ailleurs la raison d’être de certains jouets de cours de récré comme les slimes, ces pâtes visqueuses et colorées. Les designers Pinaffo & Pluvinage quant à eux créent en 2019 une interface sonore composée d’une famille de gelées aux formes variées, chacune associée à un son particulier quand l’usager l’effleure.

La gelée pour innover

Que ce soit par la couleur, le goût ou la texture, la gelée a un fort potentiel d’expression en développement de produit. Mais elle reste également un texturant très riche à explorer qui a toute sa place dans l’innovation alimentaire.

Jouer avec la composition de la gelée et sa formulation peut permettre de repenser la confiserie et les produits alimentaires existants. Par exemple, les aspics, les guimauves, les pâtisseries peuvent se (re)végétaliser, proposer une nouvelle palette de couleur en utilisant des pigments naturels plutôt que des colorants de synthèse, ou encore redéfinir la forme des empreintes peut créer un nouveau paysage dans l’assiette.

Aspic d'œuf en gelée d'Alain Ducasse

Toute une gamme de gélifiants permet d’enrichir notre palette de textures en bouche. On peut par exemple créer de nouvelles expériences de dégustation en jouant sur la viscosité, la fermeté et en la combinant avec des recettes sophistiquées. Au studio, nous testons par exemple des recettes de gummies pour encapsuler des cocktails.

En conclusion, la gelée est un aliment riche par ses goûts, sa texture et ses formes. Elle est emblématique des expériences polysensorielles que l’on cherche à développer au-delà de la dégustation, par la couleur, le toucher, le volume. Elle invite l’alimentation à sortir de l’assiette et témoigne aussi des ponts qui se tissent entre l’alimentaire, la mode, les métiers de la création et de la conception.