J’ai passé deux mois chez Mâche&Maché
Il y a quelques mois, alors que je débutais un projet interrogeant la place des matériaux alimentaires dans le panel des outils du designer, j’ai rejoint l’équipe de Mâche&Maché. Je pensais alors travailler sur un de leurs projets les plus visibles : les papiers comestibles, leur mise en forme et leur couleur. Derrière cette vitrine, il y a en réalité un studio qui met ses multiples expertises au service de l’alimentaire au sens large.
De l’outil à l’assiette
Le terrain d’action s’étend de la création d’outils industriels ou professionnels (on parle bien de machines ici) à l’accompagnement personnalisé de chefs pour créer des recettes et des expériences de dégustation savoureuses, réplicables et marquantes.
Si j’ai à la fois dessiné des esquisses de produits pour des fabricants de machine, donné une deuxième vie à des chutes de pizza industrielles et mesuré la masse volumique d’un radis imprimé en 3D, c’est que l’équipe de Mâche&Maché s’est construite autour de la multidisciplinarité.
Oriane est ingénieure agronome et cheffe : elle est capable de décoder l’étiquette d’un produit transformé en moins de 30 secondes ou de faire des tours de magie à l’aide d’un micro-onde et d’un simple citron. Arnaud, ingénieur et designer, tente toujours de m’expliquer ce qu’est le couple d’un moteur et sait illustrer les principes du maquettage alimentaire en animant des nouilles modélisées en 3D.
La petite équipe sait bondir avec agilité de l’identification d’un problème et des usages à la formalisation et le test d’une solution sur des sujets aussi variés que la chaîne de production d’une usine de transformation alimentaire que la cuisson au foin en région bretonne. Cette capacité à passer d’une échelle industrielle à artisanale est le résultat d’une généreuse curiosité pour les sujets de l’alimentation et de la création.
Formé dans une agence d’innovation, le duo pluricasquette m’emmène voir des conférences sur la couleur le matin et me propose de déguster une pâtisserie végétale l’après-midi. Dans la bibliothèque du studio aux Ateliers de Paris, où les échanges entre artisans et designers sont quotidiens, je pioche une bande-dessinée sur l’addiction alimentaire et un magazine food sur les cornichons – l’inspiration est totale.
Un réel intérêt pour les usages existants (et la certitude de ne pas tout savoir) pousse le studio à aller sur le terrain, par exemple dans 17 cuisines professionnelles, pour comprendre, apprendre et documenter. Cette curiosité s’exprime également par un travail de recherche et de maquettage continu. L’espace du local accueille à la fois un bureau, un studio de design et une cuisine (n’imaginez pas non plus un palace).
Le “faire” est central dans l’approche de Mâche&Maché car on doit être capable de prototyper des outils et de tester rapidement des recettes. Dans mes gestes de tous les jours, réaliser un moule en silicone ressemble finalement beaucoup à la création d’une membrane souple en chocolat blanc (à ne pas confondre).
Serre-joints, balance, planche à découper, pompe à vide : curieusement ces outils font le pont entre design et cuisine et alimentent une créativité qui tire partie des deux disciplines. Après chaque observation terrain, séance d’idéation, test d’hypothèses, l’heure est à l’analyse. J’ai appris que c’est dans ces moments réflexifs que l’on tire la valeur de ce qui a été produit : l’équipe prend le temps de s’asseoir ensemble, de dialoguer et de poser sur le papier ce qu’elle a ingéré et appris.
Ces temps donnent par exemple naissance à des grilles de textures, d’après observation d’une centaine de recettes en restauration ; à des recommandations fonctionnelles pour la création d’outils de cuisine ; à des ajustements sur les futures recettes à tester, dans l’optique de documenter méthodiquement les apprentissages. Car le plus important, c’est que ces enseignements soient transmis et réplicables par nos clients.
Véritable laboratoire d’expérimentation, chez Mâche&Maché, on enfile son tablier pour faire bouger l’alimentation d’aujourd’hui, de l’outil à l’assiette. Ces quelques mots posés, je retourne à mes expériences : peut-on créer un prototype de moule en silicone avec de l’agar agar ?